La rapporteure publique reconnaît une faute de l’État dans la lutte contre le changement climatique
C’était une audience très attendue. Deux ans après avoir lancé la pétition “L’Affaire du Siècle” raflant plus de deux millions de signatures, quatre associations environnementales avaient rendez-vous avec l’État devant le tribunal administratif de Paris. La rapporteure publique a reconnu la faute de l’État dans la lutte contre le changement climatique, marquant un préjudice écologique. Le juge doit rendre sa décision dans deux semaines.

Une
affiche géante a été installée jeudi 14 avril sur les bords de Seine proclamant
: “Nous sommes 2,3 millions” en référence à la pétition
“l’Affaire du siècle”.
@Nicolas Chauveau
“Il y a bien une faute de l’État à n’avoir pas respecté sa trajectoire” de réduction des émissions de gaz à effet de serre, a estimé la rapporteure publique dans l’Affaire du siècle, qui oppose quatre associations environnementales – Notre Affaire à tous, la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France – à l’État. La magistrate propose ainsi au tribunal de reconnaître la “carence fautive” de l’État dans ce qu’elle a qualifié de “premier grand procès climatique en France”. L’audience se tenait jeudi 14 janvier devant le tribunal administratif de Paris, deux ans après la pétition qui avait battu tous les records avec plus de deux millions de signatures.
Estimant que la carence de l’État “est bien l’une des causes” du dommage dont les ONG demandent réparation, elle a proposé d’accorder un euro symbolique pour préjudice moral à trois des requérantes, excluant Notre Affaire à tous, dont l’action est trop récente. Elle a en outre reconnu le préjudice écologique résultant du non-respect de la trajectoire des émissions de gaz à effet de serre. “Le non-respect du calendrier n’est pas neutre, il implique des émissions supplémentaires, qui viennent aggraver le préjudice écologique“, a-t-elle insisté.
Vers un préjudice écologique dans le droit administratif ?
Dans un long plaidoyer, qui aura duré une heure trente, la rapporteure publique a cité les rapports alarmants des experts climat de l’ONU (Giec) sur les effets “graves et irréversibles” du réchauffement climatique, et a énuméré les canicules, les ouragans et les autres événements météo extrêmes subis par les Français. Elle a ainsi défendu la reconnaissance du préjudice écologique en droit administratif, alors qu’il est aujourd’hui circonscrit au droit privé. “Une proposition qui changerait la donne sur l’ensemble du territoire” , précise Marie Toussaint, co-fondatrice de Notre Affaire à tous, désormais eurodéputée écologiste.
Elle s’est notamment appuyée sur la décision du Conseil d’État de novembre dernier. Celui-ci avait estimé que la France avait dépassé les budgets carbone qu’elle s’était fixé et lui avait donné trois mois pour justifier de ses actions en matière de réduction des émissions de CO2. Dans la même lignée, la rapporteure propose au tribunal d’accorder un délai au gouvernement avant de l’”enjoindre à prendre différentes mesures pour faire cesser l’aggravation du préjudice écologique et atteindre ses objectifs en matière de réduction des gaz à effet de serre”.
Un moment “historique”
“Nous vivons quelque chose d’historique. On a du mal à réaliser et on doit rester prudents, mais cette reconnaissance d’une carence de l’État, si elle est confirmée, pourrait sérieusement changer la donne, en termes de rapport de forces, de contraintes politiques et sociétales. Cela va être compliqué de faire comme si de rien était, il y aura un avant et un après jugement“, a réagit Jean-François Julliard, le directeur de Greenpeace France, au cours d’une conférence de presse.
“C’est justement pour cela que nous avions créé l’association Notre affaire à tous en 2015”, a commenté, Cécilia Rinaudo, sa directrice générale. “Cette audience marque une avancée juridique sans précédent, elle s’inscrit dans le sens de l’histoire pour construire nos droits climatiques et environnementaux. C’est incroyable de voir que la rapporteure s’inscrit dans ce mouvement mondial pour la justice climatique.”
“On voit bien qu’il y a un durcissement de ton de la justice française envers l’État quand il ne respecte pas ses propres engagements, et derrière, le droit des populations à vivre dans un environnement sain“, indique Marie Toussaint. “Le tribunal a l’occasion de prendre une décision historique, qui résonnera bien au-delà des frontières de la France”. Le jugement a été mis en délibéré et devrait être rendu dans deux semaines. L’Etat pourra faire appel de la décision.
Éric Tariant